"Tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat." Tout langage stéréotypé devient aberrant. C'est ce que Ionesco démontre dans Rhinocéros, pièce qui a tout d'abord vu le jour sous la forme d'une nouvelle. Partisan d'un théâtre total, il porte l'absurde à son paroxysme en l'incarnant matériellement.
Allégorie des idéologies de masse, le rhinocéros, cruel et dévastateur, ne se déplace qu'en groupe et gagne du terrain à une vitesse vertigineuse. Seul et sans trop savoir pourquoi, Bérenger résiste à la mutation. Il résiste pour notre plus grande délectation, car sa lutte désespérée donne lieu à des caricatures savoureuses, à des variations de tons et de genres audacieuses et anticonformistes. La sclérose intellectuelle, l'incommunicabilité et la perversion du langage engendrent des situations tellement tragiques qu'elles en deviennent comiques, tellement grotesques qu'elles ne peuvent être que dramatiques.
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Ça doit faire environ 10 ans que j'ai lu La Cantatrice Chauve, suivie de La Leçon, puisque je crois me rappeler l'avoir étudié au collège. J'en garde un souvenir amusé de pièces loufoques, pas toujours très claires, mais divertissantes. Pas forcément du genre que j'aimerai voir au théâtre, étrangement, mais en livre j'apprécie.
J'ai donc eu l'envie de découvrir autre chose de lui. Oui, ça fait 10 ans.. Oui, chaque fois que je passe rue de la Huchette à Paris où un théâtre joue ses pièces tous les soirs depuis plus de 50 ans, je me dis qu'il faut que je lise Rhinocéros, et que je ne le faisais pas. La chose est réparée !
J'ai donc lu d'une traite cette pièce sur mon trajet en train, et ait retrouvé les mêmes impressions que dans mes souvenirs. Encore que celle-ci me semblait un peu plus claire que les deux autres, vu qu'il y a une trame, une histoire, et les scènes ne se suivent pas sans réel fil rouge entre les conversations.
Ici, des rhinocéros envahissent un village (une ville ?) et les habitants commencent à se poser des questions. Et les choses ne vont pas en s'arrangeant. On sent les métaphores poindre derrière ces caricatures, et chacun est probablement libre de les interpréter à sa façon. C'est aussi ça ce que j'aime chez Ionesco. Chacun fait travailler son imagination comme il le sent. On peut le lire sans réfléchir plus loin à ce que ça peut cacher, ou réfléchir et trouver les liens qu'on veut avec.
Petite particularité lors de la lecture : les conversations croisées. On suit par moment 2 conversations en même temps, et du coup les lignes ne s'enchaînent pas de manière cohérente. Cela demande une petite adaptation, mais une fois que la mise en forme est comprise, ça se lit bien. Et puis ça reste épisodique. Et parfois dans ces croisement, les conversations se superposent, les dialogues se ressemblent beaucoup dans les deux discussions différentes. Il y a beaucoup d'effets de style, de premier degré et de subtilités non perçues par les caractères, ce qui donne lieu à de nombreux malentendus et dérapage conversationnel.
C'était fun, donc, et bizarre, aussi, mais je suis contente d'avoir lu l'autre pièce de Ionesco qui me faisait envie depuis un moment. Je pense cela dit que c'est le genre de pièce qui peut diviser les foules. Je peux aisément comprendre qu'on n'aime pas ce style. Moi il me divertit, alors ça me va !
Citation :
"Le logicien - Autre syllogisme: tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat.
Le vieux monsieur - Et il a quatre pattes. C'est vrai, j'ai un chat qui s'appelle Socrate.
Le logicien - Vous voyez...
Le vieux monsieur - Socrate était donc un chat!
Le logicien - La logique vient de nous le révéler...."
1960, 246p.
Editeurs : Folio